par : Mégane Bellerose
Selon l’étude de Hogarth et Ingham, faite en 2009, beaucoup de jeunes femmes disent ressentir de la culpabilité et de la honte par rapport à leurs pratiques masturbatoires. Cela révèle que la masturbation, particulièrement la masturbation féminine, demeure une pratique méprisée et taboue aujourd’hui (Kaestle et Allen, 2011).
Ceci est problématique dans la mesure où voir la masturbation comme étant négative, mine potentiellement la santé sexuelle.
*La masturbation se définit comme une excitation manuelle des organes génitaux externes dans le but de provoquer le plaisir sexuel (Larousse, 2017).
Un discours religieux, un commencement
Depuis le XVIe siècle, on peut trouver des écrits religieux condamnant la masturbation et quiconque ose la pratiquer. La seule sexualité qui était « naturelle » était celle réduite à la génération de l’espèce. Toutes autres pratiques étaient considérées comme « anormales » et « déviantes ». Cependant, plusieurs théologiens reconnaissaient que la masturbation était un péché habituel et commun, dont les gens n’avaient pas peur.
Un discours médical qui envenime cette prescription
Toutefois, la peur de la masturbation émerge à partir de la deuxième moitié du XVIIIe siècle où sont associés pour la première fois, dans un pamphlet intitulé Onania, des méfaits physiques à la masturbation. Par exemple, le pamphlet parle d’ulcères, de convulsions, de palissement de la peau, d’impotence, ou même de donner naissance à des enfants malades. Les médecins de l’époque étaient unanimement en accord que la masturbation est responsable de plusieurs maladies et peut même être mortelle (Stengers et Van Neck, 1998/2001).
Cependant, jusqu’à ce moment de l’histoire, personne n’avait questionné la véracité des propos rapportés dans le pamphlet Onania, et ce, même si aucune observation médicale empirique n’existait.
Un discours féministe face à une sexualité optimale
Grâce à l’étude qualitative féministe la plus importante au sujet de la masturbation des
femmes réalisée par Shere Hite en 1976, plusieurs féministes demeurent très critiques par rapport à l'obligation du coït dans l'hétéronormativité. Selon Hite, puisque seulement 30% des femmes réussissent à obtenir l'orgasme régulièrement lors du coït sans stimulation clitoridienne, vouloir à tout prix que les femmes aient des orgasmes en faisant l'amour, par la seule vertu du pénis, c'est les contraindre à adapter leur corps à une stimulation inadéquate.
Un double standard sexuel
La plupart des participantes de l’étude de Kaeslte et Allen, en 2011, ont mentionné la perception selon laquelle la masturbation des hommes est plus acceptable que celle des femmes. Nommé directement dans les récits des participantes, le double standard sexuel se rapporte au phénomène où un comportement typiquement « masculin » adopté par un homme est acceptable, tandis que lorsqu’une femme adopte ce même comportement dit « masculin », elle est réprimandée, explicitement ou implicitement.
Kaeslte et Allen (2011) font remarquer que 63% des hommes maintiennent un discours qui propose la masturbation comme bonne pour la santé sexuelle, tandis que seulement 16% des femmes ont le même discours.
Un contexte familiale qui renforce le tabou
Les contextes dans lesquels se déroulent les premières expériences de masturbation, de même que le discours de la famille sur la masturbation, influencent la perception qu’en développe un individu. En effet, la difficulté à parler de sexualité à leur famille semble aller de pair avec les perceptions négatives que les femmes développent sur leurs pratiques masturbatoires (Hogarth et Ingham, 2009; Kaestle et Allen, 2011).
Des jugements sociaux négatifs
La plupart des participantes de l’étude de Kaestle et Allen, faite en 2011, se souviennent de leurs premières tentatives de masturbation avec honte et malaise. Elles ont été témoins d’humour dérisoire, de stéréotypes et d’humiliation, ce qui leur a appris que la masturbation était taboue. D’autres participantes se sont même interdites d’aimer la masturbation parce qu’elles ne voulaient pas faire face aux jugements sociaux potentiels.
Du positif
Malgré les nombreuses études qui révèlent qu’il existe encore un tabou concernant les pratiques masturbatoires féminines, les statistiques qui concernent la prévalence de femmes se masturbant régulièrement ou qui se sont masturbées au moins une fois dans leur vie sont à la hausse (Kraus, 2017).
Ces études sont positives, car la masturbation serait bénéfique sur plusieurs aspects : l’auto-examen des organes génitaux, favoriser la détente et/ou la gestion du stress, favoriser le sommeil, pallier le manque de satisfaction sexuelle générale et permettre l’apprentissage positif de son corps (Bowman, 2014).
La masturbation améliore aussi le sentiment de compétence sexuel et d’estime de soi sexuel. Notamment, Hite (1976) affirme que « les femmes plus comblées sont celles qui ont su adapter leurs techniques masturbatoires, sans gêne ni honte, à leurs relations sexuelles avec autrui. ».
L’invisibilité de la masturbation féminine
L’invisibilité de la masturbation semble être un avantage parce qu'il ne semble pas avoir de normes précises concernant la fréquence à laquelle les femmes devraient se masturber ou les méthodes selon lesquelles elles devraient se masturber. Ceci est un avantage en ce sens où les femmes sont plus libres d'explorer leur propre plaisir sans normes précises quant aux scripts utilisés lors de leurs pratiques masturbatoires.
Références :
- Bowman, C. P. (2014). Women's masturbation: Experiences ofsexual empowerment in a primarily sex-positive sample. Psycho/ogy of Women Quarter/y, 38(3), 363-378.
- Hite, S. (1976). The Hite Report on Female Sexuality. New York : MacMillan Publishing Company, Inc.
- Hogarth, H. et Ingham, R. (2009). Masturbation among young women and associations with sexual health: An exploratory study. Journal of Sex Research, 46(6), 558-567.
- Kaestle, C. E., et Allen, K. (2011). The role of masturbation in healthy sexual development: Perceptions of young adults. Archives of Sexual Behavior, 40(5), 983-994.
- Kraus, F. (20 17). La pratique de la masturbation chez les femmes : la fm d'un tabou? Sexologies, 26, 191-198.
- Morin, V. (juin 2018). Pratique masturbatoires féminines et santé sexuelle : une exploration qualitative des perspectives et des expériences des femmes. Université du Québec à Montréal. https://archipel.uqam.ca/11742/1/M15705.pdf
- Stengers, J. et Van Neck, A. (1998/2001). Masturbation: the history of a great terror, New York: Palgrave Publishers.